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HMI: le mot sans la chose

 

Ce sigle de trois lettres signifie couramment Industrie Musicale Haïtienne ou encore, comme l’on semble préféré "Haitian Music Industry". Nul ne sait vraiment de quoi parle-t-on quand on évoque cette appellation si ce n’est une forme de parler très à la mode, on pourrait même dire, très diaspora. 

En effet, on remarque cette tendance à changer de registre langagier quand on veut qu’on ne vous comprenne pas mais qu’on vous prend pour un savant. A ce titre, les immigrés d’Haïti en terres Américaines constituent un bel exemple ; souvent quand ils reviennent au bercail où les but, so, of course… ne manquent de prendre place dans leur conversation. Et ceci, même avec les natifs des sections les plus reculées du pays. 

De plus, l’utilisation du terme semble péjoratif, ainsi on fait référence souvent au fait que la musique haïtienne a pu conquérir avec le temps un espace considéré comme un marché international. Est-ce suffisant ? Pourtant, on aurait pu parler tout simplement de marché de musique haïtienne. Mais, qu’est-ce qu’une industrie musicale en réalité  ? Comment s’organise-t-elle ?


LES INDUSTRIES DANS LE MONDE CULTUREL 

D’abord, j’entends par monde culturel tout ce que le monde entreprend qui a un rapport à la culture au sens d’E.B. Tylor. Ensuite, par industrie il faut entendre : « Ensemble des activités économiques qui produisent des biens matériels par la transformation et la mise en œuvre de matières premières »  (Dictionnaire de français Larousse). C’est là une définition classique. Mais ceci ne s’arrête pas là, il y a des éléments tout aussi important dont on ne saurait mentionner dans cette définition dite classique, comme par exemple la législation ; la régulation de marché etc. Autant dire que toute industrie est sujette à des lois et se fait réguler par des organes tant étatiques qu’issus de la société civile comme en témoigne les syndicats. De plus, il faut comprendre cette extrapolation, ou tout au moins cette assimilation ou emprunt  fait du concept d’industrie par des domaines comme le spectacle, les loisirs, car en réalité il y a beaucoup d’argent qui circule dans ces secteurs. Tandis qu’ils échappent souvent à dessein au contrôle et à la  régulation.  Enfin, on s’assoit sur ce fait pour les appeler industries du spectacle, des loisirs. A ce sujet le marché mondial des jeux vidéo en dit long.   


QUID DES INDUSTRIES DE MUSIQUES ?

Dans la littérature de la musique on appelle industrie musicale ou encore industrie de disque les activités qui contribuent à l'offre de produits musicaux obtenus par un processus industriel de reproduction (en général, le disque). Elle est structurée tantôt par filière, elle rassemble des musiciens, des compositeurs, des maisons de disque, des gérants, des agents, des promoteurs de concert et des éditeurs de musique. Toutefois, dans une acception très large, l’industrie musicale peut aussi inclure les médias audiovisuels mais aussi les sociétés de droits, les associations musicales etc. 

Dans certains pays comme c’est le cas pour le Canada, l’industrie musicale entre dans le budget de fonctionnement de l’état. A cet égard, un fond est alloué à ce secteur au niveau fédéral. Dans d’autres pays comme dans la région sud-africaine,  les caraïbes par exemple ceci n’est pas évident. 


UNE APPELLATION MARGINALE ET DÉNUÉE DE SENS

D’emblée, faut-il souligner que le « HMI » est un concept sectaire qui exclut fort souvent à dessein toute une gamme de rites et de rythmes constituant le folklore haïtien. Car en réalité, ceux-là même qui vulgarisent le concept s’inscrit dans une logique unilatérale au point que, quand ils parlent de musique haïtienne ils ne voient qu’un genre ou à la rigueur deux ; le compas direct et/ou la musique racine ou par affiliation, les artistes haïtiens évoluant en solo mais adoptant un style étranger comme le R&B et le Dance Hall. Ils y voient rarement le « rap haïtien », n’en parlons de la musique troubadour, la chanson haïtienne, la musique vodou, la musique populaire traditionnelle bien que rarement représentée mais existe encore même au niveau de cette génération. 

Alors, comment parler d’industrie de musique haïtienne en négligeant tous ces styles ? Quelle est la matière première de cette industrie là si ce n’est pas cet amas de représentations partagées sujettes à mettre sur supports pour en assurer la redistribution et/où la  vulgarisation de sens. 

Ensuite, est-ce possible de parler d’industrie quand vous ne  pouvez pas produire vous-mêmes le disque ? (ici je parle de la fabrication de l’objet circulaire destiné à mémoriser des sons enregistrés via l’industrie phonographique). Comment faites-vous pour en trouver ? Êtes-vous obligé de sous-traiter pour produire dans une industrie dite musicale haïtienne ?  

Dans ce cas, étant donné que le disque est bien un produit fini non haïtien et non une matière première transformée en produit haïtien, n’est-ce pas un non-sens de le considérer comme provenir d’une industrie haïtienne ? Mais encore savons-nous  qui fait quoi dans cette industrie ? Les filières sont-elles définies ? Où se place le parolier par rapport à l’arrangeur dans la chaîne de production ? Quid du compositeur ou du phonographe ?

 Certes, le produit fini qu’est la musique du terroir enregistrée sur le disque  est haïtien mais on ne peut pas dire qu’il est issu d’une industrie de musique à proprement parlé. 

De plus, personne ne peut estimer à combien s’élève le chiffre d’affaire de cette industrie voire compter les maisons de disques, s’il en existe encore en Haïti. En fait, ce qui en reste après le séisme de janvier 2010 commence par fermer leur porte comme c’est le cas pour le Mélodisque. La raison de ces fermetures échappe encore au grand public. Cependant, la prolifération de medias sociaux et l’accès d’une grande partie des consommateurs aux marchés virtuels comme : You tube, iTunes, Play store semblent y jouer un rôle majeur.  

Enfin, comment parler d’industrie en considérant cet « ensemble » de créateurs, promoteurs et distributeurs de disques fort peu organisés, structurés qui agissent de manière isolé? À l’heure où l’industrie de disque constitue à elle seule une part importante de l’économie nationale de la France ou du canada par exemple tellement la production industrielle est prolifique, continuerons-nous à parler d’industrie en Haïti quand on ne peut même pas produire une cinquantaine de disques sur une année et ce ne sont pas les artistes qui manquent. 

Quand les investisseurs culturels, sociétés de droits d’auteurs font défaut, de quelle industrie parlons-nous ? Quiconque voudrait utiliser n’importe quelle chanson soit pour un spot pub ou un film, peut le faire sans permission de l’auteur ou sans lui donner de crédit. Il n’a pas à s’inquiéter puisque les dispositions légales manquent elles aussi. C’est à peine qu’elles peuvent fonctionner si des institutions de protections de droits d’auteurs existent. A ce sujet, la déclaration d’un ancien directeur du Bureau Haïtien de Droits d’Auteurs (BHDA) fut pour le moins alarmante. Il a eu à déclarer un jour alors qu’il était directeur que : « le bureau n’a même pas de quoi se payer un véhicule, comment pouvez-vous espérer qu’il va pourchasser les faussaires de disques qui vendent leurs produits contrefaits en pleine rue et parfois devant le bureau. ». 

Cette vilaine habitude d’emprunter des concepts vidés de leurs contenus doit changer, il faut appeler le chat par son nom. Nous sommes loin d’avoir une industrie musicale proprement dite, du moins en gardant cette vielle habitude. Il faut donc donner du contenue au « HMI ». 

Certes nous avons de bons compositeurs, d’excellents paroliers de tous genres, de très bon arrangeurs même au niveau de cette génération comme Dener Ceïde et Jean Herard Richard par exemple. Nous avons aussi de bons animateurs de musiques et d’organisateurs de spectacles, de médias qui ne font que la promotion de la culture. Des associations de travailleurs de la presse culturelle, il en existe. Mais, arrêtons  de mettre la charrue avant les bœufs. On ne sait même pas qui produit qui. On est dans un marché de musiciens savants autodidactes. On a comme l’impression que l’interprète fait tout. Et cela n’a pas manqué d’affecter la qualité de la musique.

L’industrie n’est pas encore constituée  ; ce ne sont que  les potentialités qui sont bel et bien là, il faut seulement les organiser en tant que telle. Il n’est pas trop tard pour s’y atteler. 

Et comme disait déjà Abdoulaye Niang, à propos de l’industrie musicale, « ce sont les acteurs (Etat, public, artistes, producteurs…) qui construisent l’industrie musicale dont le développement n’est ni un donné ni une mission impossible. »1

RC

 

 

 

________________
1.https://books.google.ht/books?id=7NbMs6ysfRUC&pg=PA80&lpg=PA80&dq=industrie+musicale&source=bl&ots=nHF8FOzP37&sig=jFwItwAM7y9KRPXcLjHRgiCIPXM&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiVzYznmo3QAhUD9GMKHVtEAu4Q6AEITTAM#v=onepage&q=industrie%20musicale&f=false (consulte le 3novembre 2016 a 1h32 pm) 

Webographie 
•    https://fr.wikipedia.org/wiki/Industrie_musicale (consulté le 3 novembre 2016 à 3h35pm)

•    http://www.omdc.on.ca/collaboration_fr/Renseignements_sectoriels_et_recherche/Profils_sectoriels/Profil_de_l_industrie_de_la_musique.htm (consulté le 3 novembre 2016 à 3h32 pm)

•    https://books.google.ht/books?id=7NbMs6ysfRUC&pg=PA80&lpg=PA80&dq=industrie+musicale&source=bl&ots=nHF8FOzP37&sig=jFwItwAM7y9KRPXcLjHRgiCIPXM&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiVzYznmo3QAhUD9GMKHVtEAu4Q6AEITTAM#v=onepage&q=industrie%20musicale&f=false (consulté le 3 novembre 2016 à 1h32 pm)

Tag(s) : #Opinion
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