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Credit photo: google images

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La mort est d’abord un état. Elle peut être naturelle ; provoquée ou de fait ; dénouement d’une souffrance, d’une maladie brève ou longtemps supportée. Elle est un passage de la réalité humaine consciente à une autre  non consciente. Cela va sans dire que les morts ont un rapport perceptible avec les humains. Du moins, dans une logique scientifique.

Cependant, en tant qu’être social on construit des rapports avec ce phénomène soit pour s’adapter soit pour s'en éloigner. Mais comment s’articule nos rapports avec la mort en Haïti ?

Par Ronald Charles 


Loin d’étaler tous les rapports que l’haïtien entreprend avec ce « tournant de la vie » (conception à la fois voudouesque et chrétienne qui perçoit la mort comme un passage de la vie terrestre à une autre forme de vie spirituelle), nous pensons qu'à un certain moment de la vie sociale haïtienne (post indépendance), la mort était perçue comme une fatalité. Plus d'un croit que notre perception de la mort dépend de notre passé de peuple colonisé. Nous laissons aux psychanalystes le soin de cette analyse. 


Toutefois, pouvons nous constater que nos rituelles funéraires des années 50 jusqu’à la fin des années 90  témoignent d'une relation plutôt ambivalente avec nos morts. Tantôt nous voulons que nous soyons  proche de nos morts. D'abord nous faisons la « veillé » avant l'enterrement avec le cadavre installé dans une chambre de notre maison ;  puis nous les enterrons non loin de nos demeures (kav nan lakou) , nous entretenons très bien leurs  tombes, nous les offrons à manger (café et eau) ; tantôt nous leurs offrons  des « sèvis» post mortem ce pour éviter qu’ils rentrent en contact avec nous par je ne sais quel moyen mais qu'ils veillent sur nous ou à défaut, nous laissent en paix.
 Bref, la façon dont nous pleurons nos morts , les veillées mortuaires sous les tonnelles, les rituelles qui précèdent l'enterrement, les offrandes et services post enterrement, tous traduisent nos rapports avec d’abord nos morts ensuite le phénomène de la mort en soi. 


Au cours du 21ème siècle, des entreprises funéraires communément appelées morgues pullulent. Nous constatons dans le même temps un changement d’abord dans nos rapports avec nos morts mais aussi il me semble que la représentation que nous avions fait du phénomène a évolué. 


De nos jours on exige des boissons de grandes marques dans les veillées mortuaires au risque que la soirée se termine sur de mauvaises notes. Plus de thé de citronnelle, peut-être du café, plus de « kleren blan », plus de tonnelles. L’ambiance des veillées n'a  rien à envier à une fête. Il y a même des veillées avec Dj ou des jazz. Peut-être que la mort est devenu une fête de quartier. On dit bien qu’à chaque époque sa mode. Ben le phénomène de la mort a bien connu de changements à notre ère. 


Maintenant nos funérailles ont tout l'air d'une scène de théâtre de rue. A notre époque, on a des  pleureuses professionnelles aux funérailles, ce qui dans un passé récent pourrait être perçu comme un manque de respect envers les morts et/ou envers la famille du défunt/de la défunte. Ce qui fait qu’aujourd’hui il est difficile de distinguer dans un enterrement la famille épleurée des professionnels de la mort. Comme si la mort était un champ, une sphère d'activité, bref un levier de l'économie. Dans nos enterrements il y a même parfois plus d'étrangers que d’amis de la famille ou de membres de la famille. C'est devenu un programme tout comme les rassemblements populaires des Dj (disc jockey). On songe à peine à présenter nos condoléances à la famille endeuillée. On cherche de préférence où le repas est servi. Il n'y a plus de compassion. 


Face à cette évolution de la représentation sociale de la mort, des questions fondamentales doivent être posées. D’abord comment l’haïtien perçoit-il maintenant la mort comme phénomène ? Est-elle encore une fatalité ? Le deuil haitien est-il encore de mise. « moun pote bouton nwa, rad nwa ankò pandan plis pase yon lane ? » eksè moun toujou pè mete rad koulè rouj lè yo pral wè fanmiy mò ? 


Ensuite, existe-t-il encore cette ambivalence dans la perception ? Franchement combien d'entre nous se soucis des dépouilles de son proche déterré et jeté au cimetière quelques mois après l'enterrement ? Y-a-t-il encore des « kav nan lakou », des « simityè fanmiy » servant de lieu de recueillement ? Ou encore, l’Haïtien serait-il en passe de devenir cynique face à son semblable éprouvé, inhibant par là même l'empathie et/ou la sympathie ? Qu'est ce qui remplace l'empathie,  quel autre sentiment ? Comment se manifeste-il ?  Enfin serait-ce la situation de précarité économique qui engendre ce comportement chez l'être haïtien ? Mais enfin cette réalité dont elle vit, en est-il pleine conscience ? Sommes-nous plus mort que nos morts ?


Que notre relation avec la mort soit humain, professionnel ou social, en tant qu'être doté de la faculté d'aimer nous ne devons pas franchir la ligne de l’indécence au moins dans nos rapports avec nos semblables. Quelqu'un disait déjà : « même si vous n’avez aucun respect pour le mort, sachez qu’il a de la famille ». Ne connais-tu donc pas ces dictons : « vwazinaj se fanmiy », « vwazinaj se dra blan » ? Et que deviennent-ils aujourd'hui? Enfin quel sens prend la notion d’altérité dans le schème de pensé de l’Haïtien post-moderne ? 
 

Tag(s) : #Société
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